Passages

IMG_2126Ou alors, peut-être que ça s’écrit maintenant comme ça : ce serait l’actualisation littéraire du principe de l’hyperlien, un mode de pensée non pas né avec (l’hyperlien), mais devenu discrètement majoritaire… Comme si, au cœur de chaque paragraphe, se glissait une sortie possible, un scintillement, comme si l’on pouvait passer d’une page à une autre non en la tournant mais de l’intérieur de la page en elle-même, et par cette excavation discrète, passer à autre chose, suivant le fil d’un mot, le dévidant brusquement : ainsi que dans la rêverie. Cet appel à s’enfoncer dans la page, ce n’est pas qu’un changement d’axe : c’est un changement de mode de mémoire, comme lorsque le codex remplaça le rouleau – ou le puits, la rivière. Il y a toujours une page derrière la page (un paysage après le paysage quand la rivière se déroule) le présent recouvre le passé et les choses ne se juxtaposent pas comme auparavant dans les rouleaux (ou dans les bobines de film étalées ou encore les chorographies japonaises) : le livre parlait de chronologies. On pouvait sauter d’une page à une autre, revenir en arrière, faire des bonds en avant mais les choses s’ordonnaient de la première à la dernière page, numériquement, ou alphabétiquement. (Pas comme dans un blog : dans un livre, on commence à lire le plus anciennement écrit, le début. Toute notre culture se tournait du plus ancien. Notre nouvelle forme de mémoire électronique “présente” le présent avant tout.) Le discontinu remarqué dans l’écriture d’aujourd’hui met en avant d’autres liens, d’autres formes de résonances. Non plus comme s’il y avait toujours une page derrière la page, mais un puits de mots derrière chaque mot, duquel on ne sait jamais trop ce qui va sortir, sinon en ayant très peu d’imagination. Fondus et contrastes, hiatus, télescopages, ellipses qui vont parfois jusqu’au refus du principe de non-contradiction… Solutions parallèles, structures agrégatives, épisodes épars, sans tension dramatique d’ensemble, avec peu ou pas de causalité, ou trop, pour refléter au mieux le carnaval de l’impermanence de l’être : flâneries virtuelles, promenades sans but, serendipity retournée en littérature, ce « truc » de Walpole et de Joyce appliqué au web qui nous permet de trouver ce qu’on ne cherche pas… (Ce en quoi un tel projet de livre comme tout journal ne peut pas finir, sauf à trancher dedans si l’on veut lui donner un sens – arrêter cette glissade – ou de l’extérieur, de cause naturelle, très certainement.)