Voyages ordinaires (2)

Huit bras sur la tête, partant en couronne autour de la bouche qui ressemble à un bec de perroquet à la fois tranchant et élastique. Comme beaucoup de mollusques, aucun squelette, si on ne compte cette seule capsule solide qui protège entre les deux yeux le cerveau principal, au milieu duquel transite également le tube digestif et d’autres organes mous.

Huit autres petits cerveaux à la base des bras apprennent vite à caresser, à contracter, à prendre, à mémoriser, à donner des ordres à la peau, une peau qui possède des millions de cellules contractiles, chromatophores, permettant à l’être de changer presque instantanément de couleur, de granulosité, selon l’humeur ou le contexte, et de paraître un instant rocher ou algue, ou monticule de sable. Les deux yeux sont de chaque côté de la tête, et la rétine et le nerf optique sont externes, et dans cette disposition la vision ne comporte pas de point aveugle, comme si cet être n’avait pas de dos autre que ce muscle qu’on pourrait croire rond et qui relie par de multiples attaches le cerveau aux bras. Trois cœurs permettent à un sang bleu et lourd de circuler avec le plus d’efficacité jusqu’aux termes les plus éloignés de ses membres.

Tout s’est organisé autour du cerveau dans ces organismes-là : ils mémorisent et apprennent, se servent d’outils, comprennent les étapes d’un travail et la logique d’une durée. Mais ils ont opté pour l’option sans héritage, comme des bulles de vivant : au moment de l’éclosion des œufs, des secrétions sourdent des deux glandes optiques de la mère et provoque sa mort programmée, et cette sorte de fleur fanée et grise retombe ainsi sur le sol des océans. A chaque génération, tout recommence.