Le Podcast des Voyages ordinaires 2, saison 2 – Nathalie Brücher

J’ai toujours vécu comme en second ressort.
Vivant, ne comprenant pas grand-chose sur le moment, mettant de côté pour tout reprendre, pour écrire, et l’écrivant parfois, toujours par bribes, plus tard.
Cette sorte de tamis continu m’a beaucoup handicapé, m’a interdit des joies et des peines immédiates, et beaucoup d’émotions spontanées : de celles-ci, de toute façon, je me méfiais, comme d’un jeu de colère ou d’imitations de je ne sais quels rôles réflexes qui nous font tous nous ressembler, les uns les autres, au même âge, ou confrontés aux mêmes circonstances.
À l’adolescence, beaucoup de mes amis devinrent ainsi de jeunes adultes très vite, en un clin d’œil le tour de passe-passe était fait, et, aussi révoltés qu’on pût être, le « monde » s’était reproduit, avec son lot de bouchers, de policiers, de militaires et d’artistes, de maîtres et de domestiques.
Je me ressentais fatalement étranger. Comme beaucoup, peut-être tous (mais ça je ne le savais pas), il me semblait appartenir à ailleurs. À la lecture peut-être : comme un voyageur se plongeant dans une carte avant un départ, je m’absorbais dans les livres pour essayer d’apprendre une vie qui n’arrivait pas encore.
Tout voyage commence par son imaginaire : mais étais-je seulement réel ? Pas encore, pas tout à fait.

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