Pessoa (figure 2)

Pessoa BaixaFernando Pessoa, on le retrouve cette fin d’après-midi de 1928 au café Martinho da Arcada, sur ce qu’on appelait à l’époque l’esplanade du Palais. La place donne sur le Tage, et il la traversera tout à l’heure en rêvant aux navires qu’il ne prendra jamais. Une lumière projette des ombres sur le quai. Ça ressemble vaguement à un tableau de Chirico – qu’il ne connaît pas. Le voyageur indéfini ne s’entend raconter qu’une chose : l’histoire du quai mort depuis que le bateau est parti finit-il d’écrire. Sans aucun doute je fais partie des poètes qui se sont mangé le cœur se dit-il en souriant. Au verre de vin suivant, il pense à Ulysse. La nostalgie fondatrice. L’humain qui cherche son retour. Ulysse a donné son nom à Lisbonne. Olisipo. Il faudrait s’attacher à en faire un portrait poétique. Lui imaginer un thème astrologique. Le rendre à la chronologie du Portugal. Derrière les vitres, le soleil tabasse les façades jaunes. A l’intérieur, la fumée des cigarettes encombre la pénombre. Et alors que personne de connaissance ne se décide à franchir le seuil, sinon des hommes semblables à tant d’autres, il conclut qu’il est temps de partir, pour respirer un peu l’air chaud et bruyant de la ville basse. Et puis, il fallait revenir à la maison avant que Trindade ne ferme. Trindade, c’était l’épicier de quartier. Avoir un flacon d’eau de vie pour le soir. Pour enfin dormir.