Les Voyages ordinaires (2) – de l’un à l’autre (début chapitre XIII)

[Léo] Toujours cette idée, cette pointe plutôt qui a fait déchirure et par laquelle une certaine lumière se déverse : vous et moi, même tissu d’univers, même cachette sanglante pour le cœur et les organes, mêmes replis et soleils secrets au cerveau, mêmes énigmes du temps, même volonté de voir, de partager ou d’avertir.

Même conscience totalitaire, ou totalisante, repliant ce qu’elle perçoit autour d’elle, occultant l’autre. Mais je vois les autres en moi. Je me vois en tant d’autres. Tant de vies successives, dont je ne suis pas le terme. Chacun, chaque être, chaque existence forme une charade singulière. Tous disent leur capacité à être devinés. Pour le degré de compréhension qu’on en a, car c’est à peine si l’on se comprend soi-même. Le profond abîme qu’est l’homme… Enfin, trouver derrière les humains, leur agitation, le paysage qu’ils ont en commun, malgré tous les éloignements et toutes les bizarreries selon soi trouvées, ce n’est pas rien. Imaginer le particulier de ce qu’ils ont vécu, tout comme le deuil de ce qu’ils n’ont pas vécu, et offrir l’espace de réparation que l’on peut, musique, roman, cinéma, peintures, histoires diverses, c’est déjà ça, aussi simple que cela soit.

Quand on réussit, ce n’est pas rien.