Le Podcast des Voyages ordinaires 2, saison 2 – Marie Duverger

Vers 17h, avant de sortir, Pessoa se regarda dans une glace. Le problème de vieillir n’est pas de vieillir, se dit-il : c’est de s’éloigner de la Beauté. Si au moins je vieillissais comme un arbre, de plus en plus fort, avec mes branches torturées ou tortueuses, avec mes cicatrices, mes marques, mes creux, les palpitations complices ou bagarreuses d’oiseaux ou d’insectes, ce serait bien. Au lieu de cela, je m’échappe de l’intérieur.
Ce n’est pas seulement le genou qui plie plus mal, l’estomac acide ou l’épaule endolorie et les yeux plus troubles : ça, c’est inutilement douloureux, et ce n’est rien. Mais cette façon d’échapper au récit, comme si on avait épuisé ses réserves de fictions, comme si nous était devenue impossible la faculté de feindre et de réinventer son existence, c’est une autre histoire. Tout arrive comme si chaque instant était de moindre importance lorsque par définition les instants se font plus rares (et que dirais-je dans 20 ans ?) Cela ressemble à un déni : moins il m’en reste, moins ils pèsent. Ils n’ont plus cette charge de bifurcations, d’instances de changement, de potentialités d’attraction : ils s’apaisent, ils se résignent même. Ils ne se racontent plus d’histoire. Ils voyagent moins, ils rêvent moins. Ils s’en foutent. Ils passent. 

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